Qu’est-ce qui constitue un nombre acceptable de morts et de blessés graves sur nos routes? C’est la question qui était posée à des citoyens et citoyennes de Montréal, en 2017, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation. Après une première réponse (« dix », « vingt », « cent-quatre-vingt »), les personnes interrogées se voyaient demander combien de morts et blessés graves seraient acceptables dans leur propre famille. Inévitablement, invariablement, la réponse était alors sans appel : « zéro ».
Or, en 2022, ce sont 392 personnes qui ont trouvé la mort sur nos routes (45 de plus qu’en 2021), et 1275 personnes qui ont été gravement blessées et vivront probablement toute leur vie avec les séquelles d’une collision routière. Si ces chiffres représentent une nette amélioration par rapport aux années 70 (on comptait plus de 2200 décès en 1973!), ils nous montrent aussi qu’il y a encore bien du chemin à faire.
Chez les cyclistes, le bilan routier s’améliore quasi constamment, malgré la hausse du nombre de pratiquant·e·s et de véhicules en circulation. Comment l’expliquer? Le réseau de voies cyclables, garantes d’une meilleure sécurité pour les cyclistes, a plus que doublé en 20 ans.
L’insécurité routière, réelle mais aussi perçue, est également un frein énorme à l’adoption du vélo par la majorité de la population : selon une étude universitaire réalisée en 2012, en Amérique du Nord plus de la moitié de la population est « intéressée mais inquiète » à l’idée de faire du vélo. Améliorer la sécurité routière, c’est donc permettre à plus de gens d’avoir plus de choix dans leur mode de déplacement.
C’est pour toutes ces raisons que chez Vélo Québec, on a accueilli favorablement le plan de sécurité routière présenté juste avant la rentrée scolaire par la ministre Geneviève Guilbault, dont il faut saluer le leadership remarquable sur ce dossier. Il répond à plusieurs des demandes que nous avions formulées à son équipe.
Sur le plan de la gouvernance, un table d’actions concertées sera (re)mise* en place pour allier les efforts de toutes les parties prenantes : Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), corps de police, mais aussi ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD), municipalités et représentants d’usagers. En effet, la sécurité routière ne peut être améliorée exclusivement à coups de campagnes de sensibilisation, aussi excellentes soient-elles (soulignons celle sur l’empathie artificielle de la SAAQ et celle, toute récente, de la ville de Laval « Roule tout doux »). Bien qu’il existe déjà un plan de sécurité routière piloté par la SAAQ, il était nécessaire de réunir à nouveau toutes les instances qui peuvent également agir sur les aménagements physiques des routes et des rues qui jouent un rôle déterminant pour assurer la sécurité des usagers de la route.
Sur le plan des aménagements, on nous annonce justement des aménagements mieux financés, répondant mieux aux besoins des usagers sans protection : les normes du MTMD seront enfin revues afin d’intégrer la réalité des personnes se déplaçant à pied, en particulier les écoliers et les aînés, qui sont touchés par l’insécurité routière de façon disproportionnée. Avec 68 M$ supplémentaires injectés dans les programmes de soutien financier aux municipalités, on leur donnera les moyens d’apaiser la circulation et d’offrir des trottoirs et voies cyclables. Ce ne sera pas de trop, puisque les municipalités auront désormais l’obligation de limiter la vitesse à 30 km/h dans les zones scolaires, et d’aménager celles-ci afin de sécuriser le cheminement des écoliers.
Si une inquiétude persiste, c’est au sujet des routes numérotées qui relèvent du MTMD, mais traversent les cœurs de villes et villages québécois. Quiconque a suivi le cas de la jeune Anaïs, happée à mort en marchant sur la route sans trottoir qui traverse le petit village de Saint-Flavien, se souviendra que le MTMD avait refusé de prendre en charge la construction d’un nouveau trottoir sur sa route. Suite à quoi la municipalité avait, après un référendum auprès de sa population, refusé de s’endetter pour construire le trottoir demandé. Si le nouveau plan de Madame Guilbault comprend plusieurs actions sur le thème de la collaboration avec les municipalités et qu’on y fait timidement mention de « balises claires en ce qui a trait au partage de coûts lors de la réalisation de projets communs », nous serons particulièrement attentifs aux cas qui impliquent les infrastructures du ministère sur le territoire des municipalités. Si toutes les volontés affichées dans ce plan font en sorte que le MTMD et ses directions régionales deviennent de réels partenaires en sécurité routière, offrant tant leur expertise que le financement nécessaire pour apaiser les milieux de vie (au prix, s’il le faut de la fluidité du « réseau supérieur ») ce ne serait rien de moins qu’une petite révolution. Il s’agirait d’un changement de culture important, ce qui nécessite un leadership fort, une autre occasion pour la ministre Guilbault de l’exercer. Et nous applaudirons cette révolution avec enthousiasme.
*La précédente Table québécoise de la sécurité routière, créée en 2005 et présidée par Jean-Marie de Koninck, a vu ses travaux suspendus depuis la consultation publique sur la sécurité routière de 2017.
Jean-François Rheault, président-directeur général de Vélo Québec