Le 6 février dernier, Montréal annonçait que dès le printemps 2018, le chemin Camillien-Houde cesserait d’être une voie de transit à travers le mont Royal. Pour améliorer la sécurité des cyclistes, mais surtout pour revenir aux fondements mêmes de ce que doit être un parc comme celui du mont Royal : un territoire paisible, convivial, libéré d’une circulation automobile aux impacts négatifs sur la sécurité des usagers et la qualité de l’air. Malgré cette décision de la Ville, rappelons qu’il sera néanmoins toujours permis d’accéder à la montagne en auto.
Nous nous sommes bien sûr réjouis de cette annonce, comme plusieurs organismes, chroniqueurs et éditorialistes, même s’il manque actuellement des détails pour pleinement apprécier le projet — projection visuelle de ce qui pourrait devenir un magnifique chemin de parc, amélioration de l’expérience piéton, bonification de l’offre de transport collectif, etc. Plusieurs sont depuis montés aux barricades, prétextant qu’on leur enlevait un droit inaliénable, avec des propos et une hargne qui nous ont étonnés.
Au même moment débutait à Québec la Commission parlementaire sur le projet de loi 165 modifiant le Code de la sécurité routière, où Vélo Québec a présenté une analyse. Cela aussi a beaucoup fait jaser les tout-à-l’auto, ceux-ci prétextant que les cyclistes devaient être traités de la même manière que les automobilistes, peu importe la situation, et que de donner une longueur d’avance aux cyclistes — avec l’autorisation de traverser au feu piéton ou d’effectuer un virage à droite au feu rouge à Montréal, par exemple — devenait un privilège inacceptable qui n’avait pas sa place dans un code de la route.
La semaine dernière, un rapport de la Communauté métropolitaine de Montréal révélait que l’on compte aujourd’hui 142 000 déplacements quotidiens en auto vers le travail de plus qu’il y a quinze ans, et que la proportion de travailleurs utilisant l’auto avait aussi augmenté, pour atteindre 65 % des déplacements. Les déplacements en transports collectifs et actifs vers le travail ont aussi augmenté dans le Grand Montréal, mais cette hausse demeure faible, et ne touche pas l’ensemble du territoire. Bref, à ce rythme-là, nous n’arriverons jamais à atteindre les objectifs inscrits dans les plans développés au cours des quinze dernières années, notamment ceux que s’est fixés le gouvernement du Québec concernant la réduction des gaz à effet de serre.
Je ne compte plus les consultations publiques, auxquelles nous avons participé ces dix dernières années, qui arrivent à peu près toutes à la même conclusion : il faut revoir nos habitudes de déplacement, diminuer l’étalement urbain et revoir la place de l’auto solo. L’aménagement du territoire destiné en priorité à la voiture individuelle est un modèle coûteux, devenu inefficace — la congestion est d’ailleurs un obstacle majeur à notre compétitivité économique — qui a primé au cours des cinquante dernières années et que notre société n’a plus les moyens de soutenir. Même si l’émission de GES est réduite avec l’auto électrique, on ne peut se permettre de favoriser l’accroissement sans fin du parc automobile, car une ville congestionnée de voitures, qu’elles soient à essence ou électriques, ce n’est efficace pour personne.
L’annonce concernant l’arrêt du transit automobile sur le mont Royal est un geste qui s’inscrit tout à fait dans ce contexte de changement. Il ne règlera pas à lui seul toute la question de la place de l’auto en ville, mais il est appelé à se multiplier dans les années à venir.
En définitive, le tollé soulevé par l’annonce de la Ville nous place on ne peut mieux devant nos contradictions en tant que société : d’une part, nous réclamons que nos gouvernements agissent pour diminuer nos émissions de GES — le secteur du transport est responsable à lui seul de 40 % des GES au Québec —, et d’autre part, nous crions à l’injustice concernant une mesure visant à réduire l’espace de l’auto en ville. N’est-il pas temps de passer à l’action?
Suzanne Lareau
Présidente-directrice générale