Mes souvenirs à deux roues : comme le vélo, ça ne s’oublie pas!

Claude Deschênes
Le 27 avril 2023

Quand on m’a demandé, en avril, d’écrire un texte sur mon rapport au vélo, je n’ai pas hésité une seconde. Deviser sur la bicyclette en 1 000 mots, quel honneur en attendant d’enfourcher ma monture à deux roues.

Je suis heureux que Vélo Québec donne ici une voix (une voie?) à toutes les sortes d’adeptes, car il y a de la diversité chez les cyclistes aussi.

Je ne fais pas partie de ceux qui roulent en cuissard, pas plus que je ne suis un croisé du vélo. Je suis quand même plus qu’un cycliste du dimanche. Un friand de pistes cyclables.

Je ne peux pas vous dire combien de kilomètres je fais par année, car je n’ai pas vraiment l’odomètre en odeur de sainteté. Plutôt du clan de Daniel Bélanger. Avec lui je chante :

« … je roule à vélo
La tête dans les étoiles et dans le vide
Le vent est doux, j’hallucine
Je roule à vélo
La nuit est claire
Le chemin désert
Je suis invincible
Intouchable et immortel »

Mon goût pour la balade sur deux roues a commencé dans ce que je considère comme le paradis québécois des cyclistes : la région de l’Outaouais.

Je vous mets au défi, tapez les mots paradis, cyclistes, Gatineau, et vous verrez apparaître sur votre écran une foule d’articles sur l’incroyable offre de pistes cyclables qu’il y a dans cette région. On parle d’un réseau de plus de 600 km!

J’ai assisté au début de cette révolution. Quand j’avais 10-12 ans, combien de fois je me suis évadé dans le parc de la Gatineau avec mes amis Jacques, Gilles et Henri sur la piste qui mène au lac Pink alors sur la terre battue. Sur mon bicycle-bleu-pas-de-vitesse, je faisais quelque chose comme du vélo de montagne avant l’heure.

Lorsque les pistes ont été asphaltées, j’ai utilisé toutes mes économies pour m’acheter le nec plus ultra de l’époque, un 10-vitesses Peugeot. J’ai encore la facture. En juin 1973, il y a 50 ans!, le prix de vente de ce vélo de rêve était de 135 $!

Une dépense folle que je n’ai pas été le seul à faire cette année-là. Selon Vélo Québec, il y a eu un bike-boom en Amérique du Nord en 1973-1974. Pour la première fois, on vend plus de vélos que d’autos! Faut-il le rappeler, nous étions en pleine crise pétrolière à l’époque.

D’ailleurs, on peut dire que l’histoire du vélo au Québec commence à ce moment-là. En 1973, la Fédération québécoise de cyclotourisme (qui deviendra Vélo Québec) publie ses premiers bulletins d’information sur le sujet. Il y aura 8 numéros du Cyclo-nouvelles.

C’est aussi en 1973 que je rencontre ma blonde. Serions-nous encore ensemble si elle n’avait pas aimé faire du vélo? Peut-être que non. Pendant que je roulais sur les minces pneus de mon Peugeot français, elle pédalait allègrement sur son robuste bicycle Raleigh, une grande marque britannique. Quel beau tandem nous formions sur les pistes de la biculturelle Commission de la capitale nationale (CCN)!

En 1977, mon élan pour le vélo est freiné lorsque je déménage à Québec pour mes études. Je laisse mon Peugeot à mon frérot, parce qu’à Québec, ville de côtes, le cyclisme n’a pas vraiment la cote. Le trajet entre le quartier Saint-Jean-Baptiste, où je m’installe, et l’Université Laval n’est pas très accueillant pour les cyclistes. Il faudra attendre le maire Bruno Marchand (en 2023!), pour qu’enfin la promesse d’une voie cyclable le long du chemin Sainte-Foy se réalise. La piste, avec bollards, devrait voir le jour à l’automne!

Poursuivons cette ballade dans le temps avec un détour à Toronto. Mon rapport au vélo dans la métropole du Canada, de 1981 à 1989, n’a été pas été plus reluisant qu’à Québec. Quand j’arrive, le grand acquis consiste à avoir changé les bouches d’égout pour éviter que les cyclistes s’y prennent les roues, et le réseau cyclable est plutôt famélique. Deux pistes font la manchette. La Poplar Plains Lane est démonisée par les automobilistes qui trouvent qu’elle empiète sur leur territoire, alors que les cyclistes la trouvent mal conçue. L’autre, sur la rue Wellesley qui mène au centre-ville, n’obtient pas vraiment de succès. Rien pour m’encourager à acheter une bicyclette.

Mais, soyons honnête, pendant mes années à Toronto, un politicien municipal très charismatique fait du vélo son cheval de bataille. Jack Layton, Bicycle Jack comme on le surnomme, impose le sujet à City Hall. « J’ai vu l’avenir, dit-il à ses collègues échevins, il était en vélo! »

On lui doit le premier comité permanent sur le cyclisme à l’Hôtel de Ville de Toronto qui ouvrira la voie à une ère de développement de liens cyclables dont la Martin Goodman Waterfront Trail, une piste de 56 km de long qui aura bientôt 40 ans.

Pas un hasard si on a érigé une statue à l’effigie de Jack Layton à Toronto. Comme il se doit, l’homme est représenté sur un vélo… mieux, sur un tandem. Le public est invité à se prendre en photo avec lui en prenant place sur le siège du capitaine.

Quand j’arrive à Montréal, je découvre une ville passionnée par le vélo. En 1990, 38 000 personnes sont inscrites au Tour de l’Île de Montréal, un événement qui attirait 3 500 personnes 5 ans plus tôt.

Faut-il le rappeler, ce 3 juin 1990, le Tour est une expédition costaude. Le trajet fait 67 km! Je me contente d’être spectateur puisque je n’ai plus de vélo depuis des années.

En 1991, comment résister à l’appel de Louise Latraverse, qui agit comme présidente d’honneur du Tour de l’Île. Dans le programme de l’événement, son mot va comme suit: « J’ai passé mon enfance sur une bicyclette et je l’ai rangée lorsque j’ai déménagé à Montréal. Grâce à Foglia, à Michel Labrecque, à Vélo Québec et à tous les passionnés du vélo, j’ai retrouvé ma bicyclette! »

Eh bien! J’ai fait pareil, ma blonde aussi. Grosse dépense, parce qu’en plus des bécanes neuves, il fallait équiper notre toute première auto à vie d’un support à vélos. Le réseau de pistes cyclables à Montréal n’étant pas encore très développé, nous nous sommes dit qu’il valait mieux avoir de quoi accrocher nos bicyclettes à la voiture pour se permettre des sorties. Comme retourner au paradis des cyclistes, en Outaouais.

La pratique du vélo ne coûte pas cher une fois qu’on est bien équipé. Mais quand la famille s’agrandit, vous le savez, il faut souvent mettre la main au portefeuille pour inclure la marmaille dans notre nouveau loisir.

À partir de l’arrivée de fiston dans le portrait en 1993, il a fallu acheter successivement siège pour enfant, remorque, petit vélo à quatre roues, vélo junior, vélo de route, et des casques pour la tête qui grossit.

Qu’est-ce qu’on ne fait pas pour inculquer l’amour de la bicyclette à nos enfants? Dans mon cas, j’ai même emmené mon fils dans le stationnement de Radio-Canada la fin de semaine pour qu’il puisse apprendre en toute sécurité à rouler sur deux roues. Maintenant qu’il est grand, je lui offre à son anniversaire un abonnement annuel à BIXI pour diversifier son offre de transport actif.

Parce qu’il faut ajouter ça à mon rapport au vélo : je suis un irréductible fan du BIXI. Abonné depuis la première heure (mai 2009), je me fais même une gloire d’avoir une clé d’origine!

D’ailleurs, j’en profite pour saluer le regretté André Lavallée (1952-2022), l’homme par qui le BIXI est arrivé à Montréal. Ce service de vélo-partage est une des plus belles créations à Montréal depuis ce nouveau millénaire. C’est comme si ce mode de transport, si populaire avant les Grandes Guerres, était redevenu incontournable dans la cité.

Je me rappelle qu’au début, nous avions l’air bien originaux, nous les ‘’bixistes’’ montés sur notre char d’assaut. Aujourd’hui, le service est largement utilisé, et c’est une joie pour moi de voir les hordes de touristes visiter notre ville sur ce solide bicycle sorti de l’imaginaire du designer Michel Dallaire.

Ma bicyclette personnelle, c’est pour les randonnées. Pour mes déplacements en ville, j’adore la liberté qui vient avec cette formule d’accrocher un BIXI au gré de mes déambulations et de le laisser une fois rendu à destination sans jamais me soucier à avoir un cadenas à ma disposition.

Vous dire la peine que j’ai lorsqu’arrive le 15 novembre et la fin de la saison du BIXI!

Mais voyez comment la vie est bien faite : j’ai commencé à écrire ce texte en attendant l’ouverture de la saison 2023 du BIXI, et je n’ai même pas eu le temps de mettre mon point final qu’ils étaient déjà place dans les 865 stations disséminées sur le territoire. En plus, je n’aurai plus à pleurer la fin de la saison en novembre puisqu’ils rouleront enfin à l’année. Une étoile de plus dans le cahier de Montréal-ville-nordique!

D’ici là, ne me cherchez pas, je suis sur une piste cyclable, souvent sur celle des Berges le long du fleuve Saint-Laurent, la plus belle, ma préférée, à emmagasiner d’autres souvenirs d’été sur deux roues.

Claude Deschênes, journaliste culturel

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